Politique Européenne de Voisinage : Regard croisé sur la Méditerranée

(Vision du Sud)

Par Neila AKRIMI 



L'élargissement à l'Est de l'Union européenne (UE) a entraîné dès le début des années 2000 une réflexion sur ses nouveaux voisins. Cette nouvelle politique suscite une série d’interrogations sur son émergence et ses raisons d’êtres sur sa définition et son champs d’application géographique, sur son contenue et son impact sur la qualité des relations entretenues entre l’UE et ses voisins. Ceci nous conduit à se demander comment cette PV est vus du Sud. 

Le droit international de voisinage définit celui-ci comme étant le droit régissant tous les rapports entre deux Etats qui ont leur source directe dans le fait que les territoires de ces Etats sont contigus. La question du voisinage de l’Union européenne amorce l’élaboration d’une politique répondant aux défis posés par les nouvelles frontières de l’Union élargie. Ce concept va ainsi susciter un renouvellement de la coopération avec ces Etats afin de construire un espace paneuropéen et méditerranéen fondé sur des valeurs communes. 


Une application géographique limitée 

Tout d'abord formulée sous l'expression Initiative "Nouveaux voisins" par le Conseil de l'UE, cette réflexion qui intéressait uniquement les nouveaux voisins orientaux s'est transformée en une politique de voisinage (Neighbourhood Policy) concernant les Etats disposant d'une frontière terrestre ou maritime avec l'Europe élargie (Wider Europe). A priori, dans les divers travaux de la Commission et du Conseil, l’encadrement géographique de la politique de voisinage est strict. Seuls les Etats considérés comme des voisins proches bénéficieront de cette politique. Il ressort donc de ce constat les candidats à l’adhésion ne seraient pas visés par cette politique. 

Il conviendrait donc de cibler cette politique sur deux groupes de partenaires de l’Union. Le premier serait constitué de la Russie et des NEI occidentaux et le second serait celui des Etats membres du partenariat euro-méditérannéen.


Les raisons d'être de la politique de voisinage 

La politique de voisinage (PV) est une initiative unilatérale de l'Union européenne qui répond à la fois à une préoccupation interne et à une demande externe. Les élargissements successifs de l’Union n’ont jamais cessé d’étendre ses frontières extérieures. Ainsi se pose la question de la limite de l’intégration européenne. L'expression la plus significative pour comprendre le lancement de la PV est sans doute celle du président de la Commission européenne, Romano Prodi, pour qui l'objectif est de créer "un cercle d'amis". Ces expressions témoignent d'une inquiétude, alimentée par les nouveaux voisins eux-mêmes et dans une certaine mesure par les futurs Etats membres, qui concerne les conséquences néfastes que l'élargissement pourrait avoir sur la stabilité du continent et sur la propre évolution de l'UE si celle-ci ne prend pas en compte les attentes de ses nouveaux voisins.

La PV est donc liée à l'intérêt propre de l'UE de consolider sa prospérité et sa sécurité en faisant de ses voisins des alliés et en leur prouvant que les intérêts de l'UE relèvent aussi de leurs propres intérêts. L’élaboration de la politique de voisinage de l’Union européenne s’inscrit dans le contexte de rationalisation de l’action extérieure. La PV cherche, aussi à mettre un terme l'illusion d'une adhésion envisageable dans l’UE. La PV répond relativement clairement à cet état de fait en proposant d'approfondir la coopération avec les nouveaux voisins et en reportant sine die la question d'une future adhésion. Du coté sud, la PV se présente comme une réponse aux soucis des voisins méditerranéens qui craignent que cet élargissement affecte négativement les efforts de renforcement de la politique de coopération euro-méditerranéenne,. 


Une définition implicite consacrée 

Les divers documents se rapportant au voisinage de l’Europe élargie ne proposent pas de définition de ce concept mais énonce simplement des principes et objectifs le régissant. La politique de voisinage de l’Union ne repose pas seulement sur des relations économiques mais concerne l’ensemble des relations politiques entrant dans le domaine de la coopération. Elle a une vocation globale, développant ainsi une certaine cohérence entre tous les secteurs de la coopération qu’elle est susceptible de compléter. L’originalité de la politique européenne de voisinage est le renforcement de la coopération dans son aspect transfrontalier mais également la prise en considération de son volet régional et interrégional. La Commission dans sa communication de mars 2003 a insisté sur deux objectifs fondamentaux sur lesquels se fonde la politique de voisinage de l’Union : 

En premier lieu, l’Union s’attachera avec ses partenaires voisins à créer un espace commun de prospérité, de stabilité et de sécurité ; 

En second lieu, l’Union s’engagera à subordonner l’octroi d’avantages concrets et de relations préférentielles à la réalisation de réformes économiques et politiques effectives. 

Les deux principes-clés de la nouvelle politique de voisinage ont été explicités récemment par le Commissaire européen chargé des questions relatives à l’élargissement, Günter Verheugen. Il s’agit tout d’abord du principe de « copropriété » qui est relatif à la définition conjointe de la politique de voisinage par l’Union et son voisin concerné. Il s’agit ensuite du principe de différenciation qui est relatif à la prise en considération par l’Union de la situation particulière que celle-ci soit économique, politique ou social, de chacun de ses Etats voisins. 


Le contenu de la politique de voisinage 

Les grandes lignes de la politique de voisinage sont contenues dans le principal document politique rédigé sur le sujet, à savoir la Communication de la Commission européenne intitulée "L'Europe élargie – Voisinage : un nouveau cadre pour les relations avec nos voisins de l'Est et du Sud" adoptée le 11 mars 2003. Cette politique a été entérinée par le Conseil des ministres des Affaires étrangères en juin 2003 puis par le Conseil européen en décembre 2003. Depuis, la PV fait l'objet de négociations bilatérales dont le principal objectif est l'adoption de programmes d'action avec les pays concernés, celui avec l'Ukraine devant servir d'exemple. 

     -L'offre politique 

La politique de voisinage ne supplante pas le cadre actuel des relations entre l'UE et les nouveaux voisins qui, pour les PSM, sont l'Accord d’association et le processus de Barcelone. Elle vise à les compléter en donnant un cadre politique et une cohérence au développement de ces relations bilatérales. 

L’Union européenne offrira à terme à ses voisins qui partagent avec elle ses valeurs, le « plein bénéfice » de son marché intérieur et des ses quatre libertés apparentées. La Commission s’est effectivement inspiré de la création de l’Espace économique européen (EEE) liant les Etats membres de l’AELE et de l’Union mais aussi de l’initiative en faveur de la Russie tendant à la mise en place d’un Espace économique européen commun (EEEC). Cependant alors que l’EEE est un cadre inter organisationnel, l’EEEC un cadre de coopération strictement bilatéral ceux-ci n’ont pas une vocation régionale. Et même l’EEE, il présente une réalité complètement différente du cadre relationnel euro-méditerranéen du point de vue institutions et niveau d’intégration ce qui rend les inspirations de l’UE fortement discutable. 

Cette offre est toutefois "subordonnée aux progrès réalisés par les pays partenaires en matière de réformes politiques et économiques". La Communication présente les principaux axes relevant de la compétence de la PV tout en laissant le soin aux programmes d'action de définir plus précisément les objectifs, leurs évaluations, les offres de l'UE et les modalités d'accès à ces offres. Les axes autour desquels s'articule la PV témoignent des préoccupations de l'UE parce qu'ils concernent principalement les questions économiques et sécuritaires : 

-Extension du marché intérieur et structures réglementaires ; 

-Relations commerciales préférentielles et ouverture du marché ; 

-Perspectives en matière de migration légale et de circulation de personnes ; 

-Intensification de la coopération en matière de prévention et de lutte contre les menaces communes pour la sécurité ; 

-Plus grande implication politique de l'Union dans la prévention des conflits et la gestion des crises ; 

-Renforcement des efforts de promotion des droits de l'homme, d'intensification de la coopération culturelle et d'amélioration de la compréhension mutuelle ; 

-Intégration aux réseaux de transports, d'énergie et de télécommunications et à l'espace européen de recherche ; 

-Nouveaux instruments de promotion et de protection des investissements ; 

-Aide à l'intégration au système commercial mondial ; 

-Assistance renforcée et mieux adaptée aux besoins ; 

-Nouvelles sources de financement. 

     -Les ressources 

Pour la réalisation de la PV, la Commission a décidé de créer, en son sein, un groupe de travail "Europe élargie" (Wider Europe Task Force - WETF). Ce groupe est chargé de développer le concept de politique de voisinage, de mener les négociations sur les programmes d'action avec les pays partenaires, et de préparer les propositions de la Commission liées à la PV. La Commission ne crée donc pas, pour le moment, de structure distincte pour la réalisation de la PV. Un autre groupe de travail est aussi institué pour faciliter la coordination et la contribution des services de la Commission à l'égard de la PV : the Wider Europe Inter-Service Group. 

Un des domaines principaux de la politique de voisinage est la coopération transfrontalière sur laquelle la Commission a émis une communication le 1er juillet 2003. Les quatre objectifs concernant cette coopération sont les suivants : 

-la promotion du développement économique et social des zones frontalières ; 

-le travail en commun pour faire face aux défis communs dans les domaines tels que l'environnement, la santé et la lutte contre le crime organisé ; 

-la garantie de frontières efficaces et sûres ; 

-la promotion d'actions locales favorisant les contacts entre les gens. 

Pour la période 2004-2006, les instruments financiers existant tels que INTERREG, PHARE, TACIS, CARDS et MEDA seront utilisés mais feront l'objet d'une meilleure coordination à travers la création de programmes de voisinage. Ces programmes de voisinage sont élaborés de manière conjointe et vise une uniformisation des procédures de mise en œuvre et de sélection des projets. Cependant, une difficulté surgit quant au financement de ces programmes puisqu’il y a deux lignes de financement distinctes. 

Afin d’élaborer ces programmes de voisinage nationaux ou régionaux, appelés également plans d’action, la Commission va procéder à une évaluation de la situation générale et des objectifs à poursuivre pour chacun des Etats voisins. Ces documents, une fois adoptés, supplanteront les stratégies communes de l’Union européenne prise à l’égard de ses partenaires. La Commission propose d'allouer une somme de 955 millions d'euros à ces programmes. Après 2006, il est envisagé de créer un nouvel instrument de voisinage (New Neighbourhood Instrument) afin de développer les activités de coopération transfrontalière et régionale. Cet instrument doit permettre de combiner des objectifs de politique étrangère et de cohésion économique et sociale ce qui est aujourd'hui difficile en raison de la séparation des programmes à usage interne et externe à l'UE. 

     -Les programmes d'action 

Les programmes d'action (PA) sont la pièce maîtresse de la politique de voisinage. Ce sont des documents politiques et non juridiques qui définiront les principaux objectifs dans les domaines visés par la politique de voisinage. "Une fois adoptés, ils supplanteront les stratégies communes pour devenir les principaux documents exposant la politique suivie à moyen terme par l'UE dans ses relations avec les voisins". 

Les PA doivent définir, d'une part, les objectifs et les critères de référence de ce que l'UE attend de ses partenaires et, d'autre part, les avantages, voire les récompenses, dont peuvent bénéficier les voisins après avoir rempli ces objectifs qui seront évalués sur une base annuelle. 

Les principaux domaines concernés par les PA sont les suivants : 

-la coopération politique notamment dans les domaines de la sécurité et de la prévention des conflits ; 

-les réformes économiques ; 

-les questions relatives au marché intérieur et notamment la libéralisation du commerce, la coopération dans les domaines de l'énergie et des transports ; 

-la coopération dans le domaine de la justice et des affaires intérieures ; 

-le développement des réseaux d'infrastructures et des marchés de l'énergie, des transports, des télécommunications et de l'environnement ; 

-les politiques de promotion des contacts entre les gens notamment dans les domaines de l'éducation, la recherche et la culture. 

Les programmes d'action sont les éléments de la PV qui assurent le retour au bilatéralisme dans les relations entre l'UE et ses nouveaux voisins parce qu'ils font l'objet de négociations. 


La création progressive de nouveaux instruments de voisinage 


La création progressive de nouveaux instruments de voisinage s’établira pour la période post 2006. Ces nouveaux instruments revêtent deux formes distinctes. Dans un premier point, le projet de Traité établissant une Constitution pour l’Europe envisage en son article 56 alinéa 2, la possibilité pour l’Union de conclure et de mettre en œuvre des accords spécifiques dans le cadre de sa politique de voisinage. Il constituerait une nouvelle catégorie d’accords puisqu’ils ne seraient pas assimilables à des accords d’association. La spécificité des accords est leur aspect de complémentarité des accords préexistants entre l’Union et ses partenaires. Ces accords de voisinage ne pourraient en outre être conclus qu’après que le cadre existant de leurs relations ait été dépassé, nécessitant de fait l’intégration de nouvelles obligations plus contraignantes. Ces accords pourraient voir le jour en 2006 si le projet de Constitution européenne était ratifié. 

Dans un second point, la Commission à travers une communication du 1er juillet 2003 développe le concept d’un nouvel instrument de voisinage destiné à assurer le bon fonctionnement et une gestion efficace des frontières extérieures de l’Union. Elle envisage de créer un instrument à partir du cadre existant de coopération mis en place à travers les programmes INTERREG, PHARE, Tacis. Après 2006, cet instrument spécifique de voisinage encore innomé aujourd’hui devrait combiner un ensemble d’objectifs plus vastes liés d’une part, à la politique extérieure (surtout au niveau de la politique étrangère et de sécurité commune) et d’autre part, à la politique de cohésion économique et sociale de l’Union. 

Ce nouvel instrument plus global et cohérent s’inscrirait dès lors dans la démarche de rationalisation de l’action extérieure. Cependant se pose dès à présent le problème récurrent des contraintes budgétaires pesant sur l’intégration des sources de financement (externe et interne) de l’Union. En ce sens, la Commission a élaboré une communication relative aux perspectives financières de l’Union pour la période 2007-2013 définissant les priorités de l’Union et exposant brièvement le nouveau cadre financier relatif à cette période. L’action extérieure de l’Union bénéficierait pour cette période d’un budget de 95, 6 milliards d’euros ce qui constitue une avancée majeure par rapport aux budgets antérieurs. C’est en définitive un nouveau volet de l’action extérieure de l’Union européenne qui est en train de poindre, volet qui bénéficie de caractéristiques propres et qui ne peut être assimilée à aucun autre volet de l’action extérieure existant. 


L’encadrement progressif de la politique européenne de voisinage

L’encadrement de cette politique ne peut s’envisager que sous l’angle de la progressivité. Elle développe une méthode et un calendrier de réalisation. Il s’agira donc pour l’Union de renforcer le cadre institutionnel existant. Il ne s’agit pas d’innover mais d’utiliser au maximum le cadre institutionnel existant afin d’éviter les duplicata inutiles. Il convient donc de maintenir le cadre institutionnel découlant des accords conclus entre l’Union et ses Etats voisins. Cependant elle renforce ce cadre classique en élaborant un cadre institutionnel régional. 

Le cadre institutionnel existant au niveau bilatéral des divers accords conclus avec les Etats voisins Méditerranéens est un cadre classique de coopération. Il suppose des relations périodiques organisées entre l’Union et ses partenaires à différents niveaux afin de maintenir un dialogue sur les problèmes relatifs à l’application de ces mêmes accords. Outre ce volet bilatéral classique le partenariat euro-méditerranéen institue explicitement un volet régional. Ce volet régional consiste en la mise en place de réunions régulières des Ministres des Affaires étrangères et d’un Comité euro-méditerranéen du processus de Barcelone afin d’instaurer un dialogue politique ininterrompu. 

Bien que la PEV fera l’objet d’une application différenciée d’un pays à l’autre, L’UE insiste sur l’ importance de « promouvoir une coopération plus étroite à la fois par delà les frontières extérieures de l’UE et au sein des voisins eux mêmes de l’UE, en particulier parmi ceux qui sont géographiquement proches les uns des autres »[1]. La coopération régionale et sous-régionale dans la région de la Méditerranée, dans le contexte de la politique européenne de voisinage, s’appuiera sur l’ « acquis » du partenariat euro-méditerranéen en intégrant pleinement une approche conçue sur mesure pour chaque pays ou groupe de pays. La Commission s’engage ainsi à continuer à promouvoir la dimension régionale du partenariat et ceci par le biais d’un appui financier « significatif »[2].


Evaluation: La politique de voisinage: une évolution incertaine


La politique de voisinage suscite des désaccords entre les différentes composantes de l'Union européenne. Le 11 mars 2004, la Commission européenne a annoncé le report des négociations avec les pays concernés par la politique de voisinage afin d'intensifier le dialogue entre la Commission, le Conseil et les Etats membres. Ce report fait suite à la critique formulée par les Etats membres, lors du Conseil des Affaires générales du 23 février 2004[3], à l'encontre de la Commission accusée d'outrepasser son mandat et de mener de manière peu transparente les négociations avec les nouveaux voisins sur les programmes d'action. Parmi les Etats membres critiques, certains demandent que l'approche du nouveau voisinage opère une plus grande différenciation entre les pays de l'Est et les pays de la Méditerranée[4]. 

Selon un diplomate, chacun chercherait à soutenir son propre voisin. D'autres Etats membres expriment leur inquiétude face à une trop grande autonomisation de la Commission qui, sans l'accord du Conseil, pourrait conduire à de faux espoirs chez les voisins. D'autres espèrent encore que la Commission insistera sur la conditionnalité politique (droits de l'homme, démocratie, bonne gouvernance) dans ses négociations avec les nouveaux voisins. 

Ces différents enjeux de la PV suscite des interrogations concernant l’impact potentiel de cette nouvelle approche de l’Europe élargie sur ses régions voisines et particulièrement sur ses relations de partenariat avec les Pays Sud Méditerranéens. A cet égard on distingue deux types d’effets possibles de cette nouvelle approche européenne envers ses voisins méditerranéens, un effet positif contrebalancé par un effet négatif . 



     -L'impact potentiel négatif : 

Il y’a certainement le risque de la délusion du PEM dans une politique de voisinage qui se veut large et globale : 

La différence considérable entre les conditions socio-économiques et de développement politique entre les voisins du Sud et des voisins de l’Est implique le risque pour la PEV de marginaliser les pays les plus pauvres et politiquement instable intrinsèquement lié aux effets traditionnels des relations centre/périphéries. Selon la Commission Economique des Nations Unis pour l’Europe, le défit majeure de la PEV ‘will be to promote sustained economic growth and reverse the trend towards rising absolute poverty and increased income disprities through further strengthening economic integration’[5]. 

Nouvelle frontière ? La méditerranéenne sous une vision purement sécuritaire ! 

Bien que les communications de la Commission européenne de mars et de juillet 2003 parlent d'intérêts communs, les négociations actuelles entre l'UE et ses nouveaux voisins orientaux témoignent de l'existence de divergences tant du point de vue du concept de nouveau voisinage que de celui des objectifs. Les aspects sécuritaires sont au centre des préoccupations de l'UE puisque l'enjeu est, comme l'indiquait récemment Günter Verheughen, Commissaire en charge de l'élargissement et de la PV, "la sécurité de nos citoyens". Ainsi, bien que la PV mette l'accent sur tout ce qu'il y a de commun entre l'UE et ses nouveaux voisins (valeurs, objectifs, intérêts), les différents textes ou discours qui s'y rapportent ne peuvent manquer de souligner une différence de statut fondée sur la distinction entre "eux" et "nous", distinction que le terme de voisinage conforte. 

Le pire scénario sera de considérer la méditerranée comme un espace para-choc entre l’UE d’un coté et l’Afrique et ‘l’Eurasie’ de l’autre coté. Cependant la méditerranée comme l’a souligné Prodi dans une communication faite à Bologne mai 2003 ne peut pas être réduite à la question de sécurité ni à une simple région périphérique « Watever we do, we clearly cannot treat the mediteranean as merely a security issue or peripheral region. That would be short sighted because it would fail to recognise the human, social and historical processes under way in euro-mediterranean area, and ineffective because it would not get to grips with the root causes’[6]. 


    -L'impact potentiel positif :
 

Un cadre unifié des relations de proximités de l’UE

La mise en place d’un cadre commun pour les relations extérieures de l’UE allant du Maroc à la Russie signifie bien théoriquement le renforcement de l’effectivité des politiques et programmes communautaires. Parmi les effets positifs majeurs attendus de la PEV, on souligne : 

-L’harmonisation d’au moins 12 accords bilatéraux sur la base des nouveaux accords d’associations de proximité  
-La distinction nette et claire entre la proximité et le non-proximité des relations extérieures de l’UE. Ceci permettra d’identifier les priorités de l’Europe élargie, mais surtout d’ouvrir un débat institutionnel et inter-gouvernemental à propos de cette nouvelle pyramide de privilèges. 

-Stimuler des approches plus consistantes de la part de l’UE tout au long de l’identification et de la mise en œuvre des politiques inter-gouvernementales. Cette zone de proximité comme il a été déjà mentionné est « une zone d’action prioritaire » pour la PESC et la PDSE. 

-L’harmonisation des législations en matière commerciale devra offrir un potentiel considérable pour la croissance des flux commerciaux et d’investissement direct étranger (IDE). 

-La mise en oeuvre d’actions financières concertées sur la base des programmes MEDA, PHARE, TACIS, ou CARDAS. 

-L’adoption progressive de politiques communes. 

Le renforcement de l’efficacité des stratégies portant sur des questions trans-frontalières ( drogue, immigration illégale, blanchiment d’argent, crime organisé... 

Vers un grand marché pan-euro-méditerraneen

L’un des échecs important du PEM est que ni le processus de Barcelone ni les accords d’associations euro-méditerranéen n’ont su attirer des IDE vue la situation géopolitique et les incertitudes géoéconomiques. Améliorer l’accès des pays voisins au marché interne européen et l’accroissement des flux d’investissement constituent certainement des éléments clés pour le nouveau scénario. 



La Politique Européenne de Voisinage Vue du sud:
 

Pour les pays maghrébins en particulier, la PV se situe au delà du Partenariat en conférant aux relations euro-méditerranéennes des objectifs bien précis et une démarche plus efficace, tout en transcendant la dimension purement commerciale qui dominait l’esprit de Barcelone. Elle semble ainsi prometteuse dans plusieurs domaines, dont l’économie (extension du marché intérieur, coopération douanière, propriété intellectuelle, services, taxation de la réglementation communautaire, intégration aux réseaux des transports, d’énergie et des télécommunications et à l’espace européen de recherche), le dialogue politique (la prévention des conflits, la démocratie, les droits de l’homme, l’interculturel (exemple le projet de fondation) et le dialogue culturel, qui doit accorder une place particulière au développement de la société civile et à la promotion du dialogue interculturel. 

Bien que ces différents Etats accueillent favorablement l’initiative du Président Prodi et la nouvelle politique de voisinage. Mais en même temps Ils n’hésitent pas d’exprimer leurs inquiétudes envers cette nouvelle initiative. La prolifération de stratégies croisées du côté de l’UE est pour eux assez alarmante. En 1993, un processus bilatéral fût mis en place. Cette logique bilatérale s’est, par la suite, complexifiée avec le Processus de Barcelone en 1995. En 2000, à Feira (Portugal), on a reparlé de stratégie méditerranéenne. Enfin maintenant on est en train de parler de « Wider Europe – Neighbourhood ». Et à cela viendrait encore s’ajouter une nouvelle stratégie pour les pays arabes.

La première question que ces pays se posent c’est celle des instruments : Valence d’abord, et à Marseille ensuite, des plans d’action ont été élaborés ; mais avant même qu’ils soient arrivés à maturité, une nouvelle stratégie a été lancée.

La seconde question qu’il faut se poser est celle de la méthode : le projet de Politique de voisinage de l’Europe Elargie, est surprenant dans la mesure où il ne conçoit pas l’intervention des pays tiers en amont, mais seulement en aval ; par ailleurs, le manque de concertation avant le lancement de la communication est a déplorer. Les pays maghrébins croient qu’il est indispensable de se concerter pour continuer l’œuvre commune. Il y a un dérapage cette fois-ci car il n’y a pas eu de concertation préalable[7]..

Ainsi, on signale le faible marge de manœuvre dont leurs pays disposent. Il n’y a pas eu de discussion sur la définition des principes stratégiques, mais bien des possibilités d’intervention sur les points de détail. Pour eux, l’esprit de cette nouvelle initiative s’éloigne du partenariat.

Le troisième point à aborder est celui de la redistribution politique des cartes : dans le cadre de la Méditerranée, le Maghreb a une spécificité claire, tandis que la politique de voisinage s’étend à la Moldavie, à la Russie, à l’Ukraine ; ainsi la place du Maghreb dans ses relations avec L’Union européenne se voit diluée. Ils il estiment que son élargissement à des pays comme la Russie, l’Ukraine et la Moldavie, qui représentent des réalités et des priorités différentes, risque de faire passer au second plan la coopération avec le Maghreb et la Méditerranée.

Ces questions amènent à d’autres interrogations:

-quelle est la valeur ajoutée de « Wider Europe – Neighbourhood policy » ? 

-comment réfléchir à une cohérence maghrébine sous-régionale ? 

-et, enfin la question pratique de la mise en œuvre ? 

-la conditionnalité très manifeste entre l’allocation des ressources financières et l’ouverture de nouvelles perspectives des relations avec la réalisation des réformes ; 

-le privilège attribué aux réformes politiques et économiques au détriment des réformes dans le domaines sociaux, tels que l’éducation, la santé, la lutte contre l’analphabétisme, l’accès au logement, qui constituent eux , un véritable défi pour les pays du Maghreb ; 

-l’interférence dans les relations euro-méditerranéennes de nouveaux acteurs, tels que d’autres organisations internationales (OSCE, Conseil de l’Europe, OIT) qui pourraient participer à l’évaluation des progrès dans les réformes ainsi qu’à la définition des critères de référence. 

Quel sera la nature des critères que les pays du sud devraient remplir pour accéder à cette nouvelle politique. Sont-ils similaires à ceux établis pour les candidats à l’élargissement ? A savoir, une économie de marche suffisante, ou la capacité de transposer l’ acquis communautaire ? De plus, il est nécessaire de connaître le mode de financement de ce nouveau programme, ainsi que ses implications, en termes des réformes structurelles profondes. Ces enjeux révèlent les incertitudes qui pèsent donc sur l'évolution de la PV qui dépendra de la volonté politique des Etats membres et notamment des nouveaux entrants mais aussi des développements chez les nouveaux voisins.

La Nouvelle Politique de voisinage, dans sa triple déclinaison régionale, sous-régionale et bilatérale, est le résultat logique d’une réalité humaine, stratégique et économique commune entre la Méditerranée et l’Europe. Elle trouve également son soubassement dans une riche histoire commune entre les deux régions. Il est à espérer que cette nouvelle politique raffermisse le partenariat privilégié entre le Maghreb et l’Europe et l’inscrive dans une perspective stratégique durable. 





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[1] Communication de la Commission, « Politique européenne de voisinage, Document d’Orientation », dans la partie consacrée à la coopération régionale {SEC(2004) 564, 565, 566, 567, 568, 569, 570} 

[2] Ibidem

[3] Réunion du Conseil des affaires générales et des relations extérieures de l’UE à Bruxelles 20-02-2004.

[4] Voir Conseil Affaires Générale et Relations Extérieures Conférence de Presse du Ministre des Affaires Etrangères, M. Dominique DE VILLEPIN (Bruxelles, 23 février 2004), disponinle sur:  http://www.doc.diplomatie.gouv.fr/BASIS/epic/www/doc/DDW?W=CLE=925859842

[5] United Nation Economic Commission for Europe, Committee for trade, industry and enterprise development, Seventh session (13 and 16 Mai 2003), ‘trade, business and investment in a wider Europe’Workshop held on 7 April 2003, Note by the secretariat, 1 Mai 2003, Voir point 40, 41 and 42, disponible sur http://www.unece.org/trade/tips/docs/ctied7/none_03_03.pdf

[6] ‘Buildind a Euro-mediterranean Area’, speech by Romano Prodi, president of the /European Commission at the opening of the 22nd ‘Giornate DellÓsservanza’, Bologna, 17 Mai 2003, Euromed report, issue 57, 22 Mai 2003.

[7] D’après l’Ambassadeur Tunisien Tahar Sioud, La Politique de voisinage de l'Europe élargie et les pays du Maghreb, MEDEA, Bruxelles, le 24 octubre 2003.