JURISTES
POUR L’EUROPE
Quelques
bonnes raisons de dire OUI à la CONSTITUTION Le
texte qui nous est proposé n’est pas un projet du président de la République
ou du gouvernement. Il s’agit
d’un traité, c’est-à-dire
d’un accord international conclu
entre 25 Etats européens dont la France. Comme
tout accord négocié, il est le fruit d’un compromis dans lequel personne ne
peut trouver tout ce qu’il aurait souhaité ; chacun a dû faire un pas
vers chacun de ses partenaires. C’est
à cet accord à 25 Etats, et non à
quelque responsable politique que ce soit, que les signataires de ce texte
apportent leur soutien et engagent à dire OUI. Ce
qui est en jeu, le 29 mai 2005, ce n’est donc pas telle loi , telle directive,
tel gouvernement, mais la construction
européenne elle-même, dans sa portée historique : « L ‘Europe
n’a pas été faite, nous avons eu la guerre… » déclarait Robert
Schuman, à Paris, le 9 mai 1950. Et il proposait, du même coup, de poser
la première pierre d’un édifice commun aux anciens belligérants
et qui devait rendre impensable une nouvelle guerre entre eux. « L’Europe
ne se fera pas d’un coup », ajoutait-il. L’Europe a été ainsi
faite, pas à pas, suivant une série de traités successifs : CECA(1951) ;
Communauté économique européenne (1957) fondatrice du Marché commun ; Union européenne, depuis le
traité de Maastricht (1992) révisé par les traités d’Amsterdam (1997) et
de Nice (2000) tandis que le nombre de ses Etats membres
est passé de 6 à 9 puis 10, 12, 15 ; à 25 depuis mai 2004.
Il fallait adapter les institutions communes à cette configuration
nouvelle, ce que, de l’avis de tous, le traité de Nice ne fait pas de manière
satisfaisante. Au
terme de deux ans de négociations, dans une transparence inaccoutumée,
les 25 Etats membres se sont accordés sur le texte qu’ils proposent aux
peuples d’Europe sous le nom de Constitution. Ce
nouveau traité rend possible la poursuite d’une entreprise historique sans précédent,
et donc sans modèle de référence. Le texte ne manque pas de mérites : 1-
Sous le nom de constitution, ce traité affirme un principe d’unité dans la construction européenne que
l’accumulation et la superposition des traités avaient progressivement
compromise. La Constitution est tout d’abord une fusion des traités antérieurs
dans un document unique que chacun peut avoir entre les mains. 2-
Le système européen devient plus
intelligible : la structure complexe, obscure, en trois piliers, telle
qu’elle a été dessinée à Maastricht en1992 (1- Marché commun ; 2-
Politique étrangère et de sécurité commune ; 3- Justice et affaire intérieures)
disparaît au profit d’un dispositif institutionnel unique. 3-
L’unité institutionnelle retrouvée donne plus de puissance à l’Union européenne,
ce qui est capital, dans un contexte de mondialisation accélérée, pour les
nations qui la composent. Elle devient un acteur international
juridiquement capable d’intervenir non seulement dans le domaine traditionnel
du commerce international, ce que faisait la Communauté, mais aussi dans les
autres domaines de la politique étrangère et de la défense ainsi que dans la
coopération au développement et l’aide humanitaire où l’action commune
est préférable aux pratiques unilatérales. Elle peut également agir plus
efficacement dans la lutte contre la criminalité internationale :
terrorisme, criminalité d’affaire, trafics d’armes, de drogue, d’êtres
humains ; agressions contre l’environnement. Avec cette constitution, l’Europe
politique commence. 4- La constitution organise un système de pouvoir plus simple et plus efficace : la définition des compétences respectives de l’Union et des Etats membres permet de mieux savoir qui fait quoi (art. I-11 à I-18) ; le système de calcul de la majorité qualifiée au sein du Conseil des Ministres est devenu simple et raisonnable (art. I-25) 5- Un progrès remarquable est réalisé dans le domaine du respect du droit : les décisions de toutes les institutions, y compris le Conseil européen, jusqu’alors irresponsable, peuvent être soumises au contrôle de la Cour de Justice (art. III-367-371). 6-
Le fonctionnement des institutions est plus démocratique. Le Parlement européen reçoit un pouvoir législatif
plus étendu et un pouvoir budgétaire renforcé. Les parlements nationaux se
voient garantir un pouvoir de contrôle et d’intervention accru.
7-
La démocratie participative
est assurée par un large droit d’accès des citoyens aux documents et aux délibérations
et par l’instauration du dialogue avec les associations de la société civile
(art.I-47) et avec les partenaires sociaux (art. I.48). En outre, une initiative populaire d’un
million de citoyens de plusieurs Etats membres peut amorcer le processus législatif
(art.I-47).
8-
Les droits des citoyens européens sont considérablement étoffés :
La Charte des droits fondamentaux (2°
partie) est intégrée dans la Constitution ; elle comporte près de 50
articles qui définissent de manière substantielle les droits civils et
politiques, les droits sociaux (que les traités antérieurs n’abordaient pas
directement); les citoyens peuvent
se prévaloir de ces droits devant un juge ; ils ont également la faculté
de saisir un médiateur face aux éventuels
abus administratifs des institutions de l’Union.
9-
Au sein des
dispositions de caractère économique, purement et simplement reconduites dans
les termes où elles ont été énoncées en 1957 (en particulier pour tout ce
qui concerne la libre circulation et
le contrôle de la concurrence), figure une référence expresse à la valeur
fondamentale que l’Union attache aux services
publics et à l’accomplissement de leurs missions constitutives de son
modèle social (art. III-122). La
référence à une « économie sociale de marché », avec des
objectifs de plein emploi, de protection sociale élevée, de lutte contre
l’exclusion et de solidarité constitue une évolution positive par
rapport aux textes antérieurs, ce qui a déterminé l’approbation de la confédération
européenne des syndicats (CES) à la constitution.
10-
Une constitution n’étant pas de marbre, ce système n’est pas figé :
il prévoit deux procédures de révision,
l’une, ordinaire (art.IV-444), l’autre simplifiée (art.IV-445) ; il élargit
la possibilité pour certains Etats d’établir entre eux une coopération
renforcée (art.I-44 ; III-416 à 423). Le
rejet par la France, pays fondateur, de ce projet de constitution ne
constituerait pas seulement un refus du progrès qu’elle représente par
rapport au traité de Nice mais, en substance,
un rejet de tous les traités antérieurs depuis le traité de Rome puisque ces
traités sont incorporés dans le texte. Ce serait, dans
le fond, un non à l’Europe. Les
signataires du texte ci-dessus, juristes de formation et de profession, ont des
sensibilités politiques diverses. Ils ont en commun l’espoir que la
construction européenne, l’invention politique la plus neuve, la plus
intelligente de l’après-guerre, va se poursuivre. Cette constitution n’est
pas la fin de l’histoire ; elle est une étape sur un chemin qui doit
rester ouvert aux générations futures. Alors,
très fermement : OUI à la CONSTITUTION |