Dix ans de Partenariat: vers un
rééquilibrage des relations euro-méditerranéennes?
Neila AKRIMI
À
l’occasion du dixième anniversaire de la conférence de Barcelone, nous ne
devrions pas laisser passer l’occasion de tenter de dresser un bilan d’un
processus entrepris alors, le Processus de Barcelone.
Le
Partenariat euro-méditerranéen fête ses dix ans dans l’incertitude. Les
objectifs affichés en 1995 à Barcelone – croissance économique, stabilité
politique, dialogue renouvelé entre les sociétés des deux rives de la
Méditerranée – sont loin d’être remplis, même si le cadre de fonctionnement du
Partenariat semble désormais ancré dans les institutions et les esprits.
Dans un document daté
du 6 septembre 20004, la Commission de l’UE relevait les problèmes suivants
ayant affecté le processus:
-
les difficultés du
processus de paix au Moyen-Orient;
-
des procédures de
négociation et de ratification des accords d’association plus longues que
prévu;
-
un esprit de
partenariat n’ayant pas toujours abouti aux résultats escomptés en matière
de droits de l’homme;
-
les difficultés à
appliquer la politique de transition économique prévue par certains
partenaires;
-
le faible volume
des échanges sud-sud et un niveau des investissements qui reste inférieur
aux perspectives prévues;
-
la mise en œuvre
du programme MEDA freinée par des problèmes de procédures.
La
Méditerranée semble aujourd’hui redevenue un lieu d’affrontements concrets et
symboliques, aux crises anciennes (conflit israélo-palestinien, Sahara
occidental, Chypre) s’ajoutant de nouveaux défis: les effets de l’onde choc
irakienne, la montée en puissance de l’islamisme combattant, perturbent de façon
évidente le projet fédérateur euroméditerranéen. Face aux hésitations
européennes, l’activisme américain impose aujourd’hui un nouvel agenda en
Méditerranée.
L’anniversaire du Partenariat euro-méditerranéen, qui coïncide avec la mise en
place de la nouvelle politique européenne de voisinage, pourrait aujourd’hui
sonner l’heure de la re-politisation et de l’évaluation du projet
euro-méditerranéen.
Parmi les nombreux
points de cette évaluation intéressante,
il ressort que:
-
d’un point de vue
européen, il manque une volonté politique des pays du sud à une intégration;
dans ces conditions, un nombre significatif de partenaires propose une
réforme dans une certaine mesure du partenariat euro-méditerranéen; le
manque d’influence du partenariat a par ailleurs été démontré lors de
l’occupation de l’île de Leila-Perejil par le Maroc, une crise qui n’a pu
être dénouée qu’avec l’aide des USA;
-
le processus de
paix au Moyen-Orient étant de facto exclu du partenariat politique et de
sécurité, c’est l’aspect économique qui est désormais prépondérant pour les
pays du Sud;
-
d’une manière
générale, le blocage de la situation au Moyen-Orient est perçu soit comme un
empêchement soit comme une excuse pour ne pas progresser avec les réformes
économiques;
-
du point de vue
des pays du Sud, le partenariat n’existe que pour répondre aux besoins
sécuritaires de l’UE;
-
en ce qui concerne
le volet économique, les pays du sud critiquent le manque de résultants du
processus alors que les pays du nord semblent indifférents au fait que les
échanges commerciaux n’aient pas augmenté depuis son implantation;
-
l’exclusion des
produits agricoles du partenariat préoccupe le sud (alors que les pays du
sud de l’UE s’opposent à leur inclusion pour des raisons de
protectionnisme);
-
la modernisation
des industries avec les pertes d’emplois qu’elle implique, couplée au
renflouement nécessaire des finances étatiques alors que les recettes
douanières diminuent, est perçu dans le sud comme le plus grand problème du
volet économique;
-
compte tenu du
manque de résultats dans le volet économique, le Sud estime que l’UE est
plus intéressée à limiter le terrorisme et l’immigration que de favoriser
son développement économique;
-
en ce qui concerne
le volet culturel et social, c’est le manque de visibilité et d’initiatives
prises pour améliorer le niveau de connaissance de ce processus, tant au
Nord qu’au Sud, qui est regretté;
-
les pays du sud
ont le sentiment de ne pas maîtriser le processus et estiment qu’il ne
s’agit pas tant d’un «partenariat» que d'une initiative européenne à
laquelle ils ont de moins en moins part. Pour que l’influence du nord soit
acceptée au sud, encore faudrait-il que les pays du sud puissent aussi peser
sur les décisions de l’UE ;
-
cette absence de
reconnaissance, couplée au blocage du processus de paix au Moyen-Orient et
le sentiment que l’UE use de doubles standards en matière de droits de
l’homme mine le processus de Barcelone;
L’année 2005, en tant
qu’année de la Méditerranée, ne doit pas être seulement une année de
célébration, mais aussi une année de réflexion et d’évaluation de la part des
autorités, et d’une plus grande prise de conscience de la part de la société
civile. Dix ans après la Déclaration de Barcelone, il faut relancer et
actualiser le Processus de Barcelone, en établissant de nouvelles priorités et
en introduisant de nouvelles méthodes de travail pour obtenir une plus grande
efficacité dans la poursuite des anciens objectifs et pour ceux nouveaux qu’il
faut désormais définir dans un esprit de concertation et de solidarité.
Face
à ce constat, que faire ?
Quelques
jours nous séparent de Barcelone 10 qui aura lieu en Novembre prochain. Il
faudra tout d’abord, sur le plan national, multiplier les rencontres pour
approfondir le constat, et surtout faire des propositions. Ces rencontres ne
doivent pas concerner uniquement la Société Civile, mais intégrer également les
décideurs politiques et les responsables de l’Administration (Primature,
Affaires Étrangère, Commerce Extérieur, Finances, Commerce et Industrie,
Éducation nationale, Affaires Culturelles). Une fois une position marocaine
adoptée, il faut élargir le débat avec nos voisins maghrébins, puis les autres
pays aussi bien du Nord que du Sud de la Méditerranée, avant la tenue de la
Conférence de Novembre 2005 à Barcelone.
D’ores et déjà on pourrait avancer les idées suivantes :
Volet
Politique et de Sécurité :
-
Appui à la ratification du Traité de Constitution de l’Europe
: certes, c’est aux peuples européens de ratifier ou non ce Traité. Mais
nous avons tout intérêt au renforcement de l’Union Européenne, et à la
consolidation de son influence dans le monde, notamment pour peser sur la
solution du conflit Israélo-Palestinien. D’autre part, un « non » au Traité
Constitutionnel affaiblirait la Partenariat Euro Méditerranéen.
-
Réflexions sur les mesures à prendre pour l’éradication de
l’ignorance et de la pauvreté dans les pays Sud- Méditerranéens, qui sont la
cause essentielle du terrorisme et de l’immigration clandestine.
-
Réflexions sur les mesures à prendre pour l’instauration de
la démocratie, de l’Etat de droit et du respect des droits de l’Homme, qui
sont indispensables pour l’épanouissement individuel et collectif, et le
développement économique.
Volet économique et financier :
-
Au lieu d’un simple Partenariat, il faut passer à une
intégration économique entre le Nord et le Sud. Cette intégration pourrait
commencer par secteur économique (agriculture, tourisme, énergie), et se
traduire par des joint-ventures, et le transfert de technologie.
-
Demander l’accroissement de l’aide financière publique de
l’Union Européenne aux pays Tiers-Méditerranéens.
-
Créer une Banque de développement Euro-Méditerranéenne :
cette Banque aurait pour objet non seulement d’octroyer des prêts, mais
aussi de procéder à des études sectorielles transversales, et jouer le rôle
de conseil pour les investisseurs potentiels, à l’instar du rôle joué par la
BERD pour les pays de l’Est.
Volet Social, Culturel et Humain
-
Aide accrue sur le plan social, notamment pour la santé et la
sécurité sociale.
-
Aide au perfectionnement du système éducatif
-
Multiplication des échanges culturels
- Faciliter
la mobilité des personnes (problème des visas), indispensable pour la
communication et la compréhension mutuelle.
En
conclusion, ce n’est que par une dynamisation nouvelle, et une véritable volonté
politique des deux parties, que le Partenariat Euro- Méditerranéen pourra
devenir plus efficace durant la prochaine décennie.
Cette évaluation est intégrée dans le document
“The Status of the Euro-Mediterranean Partnership, George Joffé”.
www.euromesco.net.