La Méditerranée: Identité culturelle et perspectives d’un dialogue interculturel

  Neila Akrimi

 

Matrice de civilisations exceptionnelles, lieu d'émergence des trois grandes religions monothéistes, source d’inspirations de poètes, d’écrivains et de philosophes mais en même temps espace de toutes les barbaries, berceau de tant d’intégrismes et creuset de multiples formes de replis identitaires, la Méditerranée est décidément une région bien particulière.

Depuis toujours la Méditerranée se présente sous deux visages antagoniques, tour à tour exaltés selon les nécessités ou les approches épistémologiques: le visage unitaire, celui de berceau des civilisations, et le visage conflictuel, en tant que foyer de tensions séculaires plus que jamais vivantes.

La référence à des religions principalement monothéistes participe tout à la fois de l'identité commune et de la différence, la ville de Jérusalem en étant le symbole. Si l'on considère que le religieux n'est qu'une composante du culturel, les grands domaines linguistiques modèlent aussi la Méditerranée : langues chamino-sémitiques, indo-européennes, ouralo-altaïques. Certains conflits de valeur se cristallisent autour de la conception anthropologique de l'individu, de la famille, de la communauté. Ainsi, la structure de la communauté des croyants dans l'Islam (Umma) s'oppose à l'idée européenne de la nation, collection d'individus plutôt que de familles.

Mais, dans tous les cas, il ne s'agit pas de blocs homogènes. L'histoire, le brassage des populations, les diasporas, ayant brouillé les cartes, l'analyse du fait culturel dépendra des niveaux d'échelle étudiés : à plus grande échelle, il conviendra d'analyser les lieux et les formes de mixités ou de coexistences culturelles (communautés musulmanes en Europe, communautés chrétiennes dans les Pays Sud Est Méditerranéens).

Toute cette réflexion conduit à souligner avec force l'importance et la nécessité du dialogue qui doit être noué partout où cela est possible pour tenter de rapprocher les uns des autres et pour rappeler que si l’on ne veut pas que cette Méditerranée bascule à nouveau ou davantage dans les conflits et la régression comme elle l’a déjà fait en Bosnie, en Algérie, au Liban, en Palestine ou ailleurs, le débat doit s’instaurer. Non pas de manière superficielle et contrainte, non pas dans une stérile incantation, non pas pour se perdre dans de vaines discussions sur le dialogue en soi mais bien en intégrant une lucide vision de l’avenir qui fait trop souvent défaut à tant de “responsables” littéralement murés dans leurs certitudes politiques, religieuses ou corporatistes, comme si certaines décisions d’aujourd’hui ne portaient pas en elles les drames de demain.

Le dialogue, et donc d’abord la volonté de rencontrer l’autre, est partout une entreprise extrêmement difficile. Le dialogue, forme essentielle de l'humanisme est bien la seule voie possible qui permet de dépasser de manière féconde ces multiples blocages pour enfin croire en l’avenir et s'y projeter.

C’est dans cette optique que La Déclaration de Barcelone de 1995 énonce, au chapitre III, la nécessité d'établir un dialogue entre les cultures et les civilisations dans le cadre des sociétés de la région méditerranéenne. Le plan d'action adopté lors de la Conférence euro-méditerranéenne des ministres des affaires étrangères tenue à Valence les 22 et 23 avril 2002 comporte un mandat pour la création d'une Fondation euro-méditerranéenne pour un dialogue entre les cultures et les civilisations. C’est ainsi que  lors de la conférence euro-méditerranéenne des ministres des affaires étrangères à Naples, 2- 3 décembre 2003, il a été convenu de lancer la Fondation euro-méditerranéenne pour le dialogue entre les cultures.

La question que l'on se pose concerne l’habilité de cette nouvelle structure à promouvoir l’idée d’une "identité plurielle méditerranéenne", d’un "être au monde méditerranéen", de la "pensée méridienne" soulignant "qu’il faut rendre à la Méditerranée son ancienne dignité de pensée, rompre avec une Méditerranée pensée par les autres. Une Méditerranée qui pense la Méditerranée ?